5 févriers

5 février 2014, tu atterrissais sur ma poitrine, petite boule de vie fragile et forte, et ton regard curieux allait chavirer mon monde.
Je me souviens de cet étrange sentiment que j’ai ressenti lors de nos premiers instants de contacts « extérieurs », ce sentiment qui ressemblait à un vide, à un rien, ou je dirais peut-être plutôt à une énigme. J’étais là, épuisée et enivrée des 48 dernières heures où j’avais été transportée d’images en images, de contractions en poussées jusqu’à toi, et je ne sentais rien, sauf la fatigue, sauf un genre de vide, une attente. J’attendais que quelque chose arrive, mais rien n’arrivait, et nous étions comme suspendues, toi et moi, dans ce temps du rien du tout qui était comme une énigme (peut-être était-ce celle de la brèche entre attachement et liberté?).
Peu à peu, cette énigme s’est transformée en émerveillement, et c’est cet émerveillement mystérieux, de ceux qui n’apportent pas de réponses, mais qui savent jongler avec la magie des silences évocateurs, qui, depuis ce jour, me « meut », si je peux dire.

Rose, mon ensoleillée, tes 5 ans te vont si bien, et je me réjouis que chaque jour qui arrive tisse et ratisse entre nous l’énigme des attachements libérateurs.
Bonne fête ma coquinette, Février vive la vie!

La tasse de thé oubliée

Depuis lundi les enfants sont malades, d’abord ça a été Valier, maintenant Rose (elle dort dans le salon depuis 2 heures, s’est recouchée seule après avoir avalé son gruau). Je ne sais pas pourquoi je suis surprise, parce qu’à chaque année à cette date depuis 4 ans, c’est otite, pneumonie, streptocoque, name it.
Mais ça m’a surprise comme une débutante, moi qui pensait enfin pouvoir me mettre à ma thèse cette semaine, parce que la semaine passée c’était la rentrée, le début de ma nouvelle job, et tu dois être un peu indulgente avec toi-même, fille, laisse-toi le temps de prendre le rythme, et tu le trouveras, ce temps qui te manque toujours pour écrire ta thèse.
Troisième jour de garde pour moi, j’arrive à travailler un peu pour la job ici et là, à travers les siestes et les Pat’patrouille, mais chaque soir vers 20h30, quand finalement ils dorment ou combattent silencieusement leurs peurs en attendant l’apaisement, alors qu’il serait finalement temps que j’ouvre ce foutu document (« THÈSE », avec une étiquette rouge), je choisis le tricot et ravale ma culpabilité. Comment font ces femmes, celles de mes groupes facebook de mères universitaires, pour travailler ces 9-10h par jour (disent-elles) ? Je ne suis pas de celles-là, semble-t-il, j’économise mes énergies (ou bien j’ai pas assez de passion ?).
Tout ça pour dire que ce matin Rose s’est recouchée et je suis venue dans ma cuisine ensoleillée pour ouvrir mon document (« THÈSE », avec une étiquette rouge), je me suis assise puis relevée, j’ai tourné trois fois sur moi-même, rouvert les notes de lecture d’un livre qui dit ce que je voulais dire dans ma thèse, j’ai fermé tout ça (fini la lecture, il faut ÉCRIRE), j’ai angoissé et je me suis relevée. Aiiiiioooooooooaaaaaaaah.
Et là, j’ai vu sur le four, dans le soleil aveuglant de ma cuisine, une tasse de thé oubliée. Elle était encore fumante, la vapeur virevoltait dans la lumière en volutes joueuses. C’était « notre » tasse, cette tasse-thermos en plastique cheap achetée il y a 6 ans presque 7 dans un dépanneur de la UP (la upper peninsula du Michigan), pendant notre road trip vers Yellowstone. Cette tasse qui goûte encore le voyage, qui éveille le rêve à chaque fois. Matt l’avait oubliée là, le thé noir en train d’infuser. Il avait voulu l’amenée au travail, sûrement, et l’avait préparée en attendant que je revienne de la garderie, Valier déposé là-bas, Rose rendormie dans le salon, moi espérant écrire ma thèse, lui cherchant à souffler dans sa semaine de fou. Et il l’avait oubliée.
J’ai pensé à notre voyage, à la UP qu’on avait tant aimée (l’herbe à puce, le lac supérieur, les routes, nos lancers de moucheur et moucheuse débutant.e.s, eh puis j’ai aussi pensé aux loups qu’on avait vu à Yellowstone), j’ai pensé à nos matins pressés, à notre mois de janvier, j’ai pensé à notre amour du thé, à notre amour tout court, j’ai pensé à mon chum, on se voit si peu ces temps-ci.
Je me suis rassise à la table, la tasse de la UP en main, et en buvant ce thé noir, celui qui lui était destiné, j’ai fermé mon document (« THÈSE », avec une étiquette rouge), et j’ai écrit un poème à mon amoureux.
Ça va comme suit, et vous pouvez rire parce que c’est juste ça oui :
J’ai bu le thé que tu avais laissé
sur le comptoir,
noir et fumant
plein de toi manquant.
J’imagine tes gestes
le préparant,
tes mains, tes yeux et tes épaules
et tes pensées tournées vers ta journée,
celle qui te l’a fait oublié
là,
ce thé que je bois en pensant à toi.

Quand j’étais petite mon père nous écrivait des poèmes comme ça. En fait, il nous en écrit encore.
En envoyant le poème en texto à mon chum, je me suis dit que j’étais bien la fille de mon père, que mes enfants aimeront peut-être la poésie poche de leur mère, que j’écrirai ma thèse, que la lumière de janvier est ma préférée, et qu’il fait bon savoir que je le retrouverai ce soir, Mathieu, dont la présence m’apaise et me donne le goût de la poésie.
xx

(appuie sur « Partager », ferme Facebook, et écrit sa thèse)

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[Publié sur Facebook, le 17 janvier 2019]